Attirée par les ressources naturelles dont elle manque, la Chine investit massivement en Afrique depuis l’an 2000, et mène des travaux à tour de bras, avec une rapidité de décision et d’exécution très appréciée des Africains, mais sans se soucier d’environnement, avertit Peter Bosshard, directeur de l’association américaine International Rivers. Une critique qui s’ajoute à celles des ONG africaines et mondiales sur les dérives des entreprises chinoises concernant les droits de l’homme ou du travail en Afrique, notamment la préférence donnée aux salariés chinois.
La présence chinoise en Afrique augmente en flèche, mais partait de très bas. Le commerce entre les deux pays est passé de 10 milliards de dollars en 2000 à 70 milliards en 2007, selon le gouvernement américain, et pourrait atteindre 100 milliards en 2010 selon le FMI. Les investissements directs de la Chine en Afrique ont atteint 2,5 milliards en 2007 (1% de tous investissements directs réalisés en Afrique), avec des opérations majeures comme l’achat par l’Industrial and Commercial Bank of China de 25% de la banque sud-africaine Standard Bank fin 2007 ou les crédits de 9 milliards au Congo, qui remboursera la Chine en cobalt et en cuivre.
« Depuis longtemps », explique M. Brossard, « l’Afrique a été un gisement de ressources naturelles pour l’Europe et l’Amérique, mais la Chine a pour politique d’exploiter des ressources jusqu’ici jugées trop difficiles d’accès, trop risquées politiquement ou trop limitées pour être exploitées ».
« D’où des investissements massifs dans les mines, l’exploration pétrolière et des infrastructures comme les oléoducs, les routes, les centrales et lignes électriques.
L’expansion chinoise en Afrique est réalisée par des milliers d’entrepreneurs individuels pour le commerce et les usines, et par des grosses sociétés publiques chinoises pour les infrastructures et l’exploration – comme les grandes entreprises américaines ou européennes l’ont déjà fait pour le pétrole.
Le gouvernement chinois les épaule via la China Exim Bank, agence de crédit à l’exportation qui a accordé 36 milliards de dollars de crédits en 2007, davantage que la Banque mondiale et toutes les agences nationales de crédit à l’exportation réunies. En mai 2007, la China Exim Bank a prévu d’accorder 20 milliards de dollars aux projets en Afrique sur les trois prochaines années – contre, par exemple, 4,8 milliards accordés par le Banque mondiale en 2006.
Championne des technologies en matière d'énergies renouvelables dans les zones rurales – par exemple les chauffe-eau solaires – et productrices d’équipements bon marché, la Chine offre des solutions idéales pour l’Afrique, et ses investissements massifs ont été un moteur de l’économie du continent ces dernières années. De plus, elle agit rapidement, libre des critères rigides des institutions internationales.
Mais la Chine cherche d’abord à accéder aux matières premières, comme avant elle les Occidentaux, sans trop se soucier d’environnement, ni d’autres principes comme le droit du travail, les droits de l’homme, avec par exemple souvent une préférence donnée aux employés chinois. Et elle risque fort d’exporter ses pratiques peu soucieuses de l’environnement, comme les barrages géants avec déplacement massifs de populations.
Les investissements chinois portent sur des secteurs polluants (bois, pétrole, gaz, mines, infrastructures de transport…), souvent dans des zones retirées et écologiquement fragiles, y compris des parcs naturels ou des régions mal contrôlées par des gouvernements faibles. Si les institutions internationales se sont dotées des principes environnementaux depuis les années 1990, ce n’est pas le cas des grands groupes chinois, ou du moins pas au même niveau.
Quelques exemples sont parlants : au Soudan, la China Exim Bank finance le projet de barrage de Merowe sur le Nil, qui déplacera 55.000 personnes qui devront quitter la fertile vallée du Nil pour s'installer dans des zone plus arides, un projet auquel le ministère soudanais de l’Environnement n’a jamais donné son feu vert.
Au Gabon, le groupe Sinopec procédait à des explorations pétrolière dans le parc national du Loango jusqu’à ce qu’en 2006, les services de production du parc en ordonne l’arrêt – là encore le groupe chinois n’avait jamais reçu l’autorisation du ministère de l’Environnement.
Le barrage du Kongou, proposé par les Chinois pour fournir de l’énergie au projet d’exploitation du fer de Belinga, au Gabon, dont la Chine est partenaire majoritaire, risque d’endommager les forêts du parc national d’Ivindo. Le projet de barrage de Bui (projet de Sinohydro), financé par la China Exim Bank, va inonder un quart du Parc national de Bui au Ghana. La barrage de Kafue, également de Sinhoydro, financé par la China Exim Bank en Zambie, menace les plaines de Kafue Flats et ses parc nationaux.
La Chine a commencé, depuis un ou deux ans, à annoncer publiquement la nécessité d’adopter des règles de protection de l’environnement, y compris la China Exim bank, mais d’une part ce sont des grandes lignes et non des règles contraignantes, d’autre part le gouvernement n’a pas forcément beaucoup d’influence sur les centaines de groupes chinois présents en Afrique.
Jusqu’ici les pays africains n’ont guère réagi, sauf la Sierra Leone qui début 2008 a stoppé les exportations de bois menées par des sociétés chinoises (et d’autres) sans respect de la loi. Les investisseurs occidentaux craignent que les banques chinoises ne financent des projets qu’ils avaient rejetés à cause de leur impact écologique.
Et de nombreux exemples montrent que les gouvernements africains utilisent la disponibilité des fonds chinois pour faire pression sur les financiers occidentaux afin qu’ils réduisent leurs exigences environnementales, ou celles liées aux conditions de travail.
La Banque mondiale tout comme la Banque européenne d’investissement, ont publiquement averti de ce risque, et estiment que les institutions internationales doivent diminuer leurs exigences, à cause de la concurrence chinoise.
Pourtant, à l’intérieur de la Chine, les progrès avancent. Récemment, les institutions chinoises ont créé des incitations importantes pour faire respecter les règles d’environnement. En août 2007, l’Agence de protection de l’environnement (SEPA, devenue ministère de l’Environnement), la People's Bank of China et la Commission de régulation bancaire chinoise ont élaboré des règles environnementales plus strictes et, en novembre 2007, 12 entreprises chinoises se sont vu pour la première fois retirer des financements au nom de l’environnement.
En octobre 2007, le ministère du Commerce et la SEPA ont annoncé qu’ils interdiraient d’exportations pour 3 ans les entreprises qui violent les règles sur l’environnement Et en janvier 2008, la SEPA a conclu un accord pour introduire les principes de l’Equateur - les normes environnementales qu’appliquent les banques privées internationales – en Chine.
Mais aucune de ces mesures ne s'appliquent aux firmes chinoises à l’étranger, et risquent même d’encourager les entreprises chinoises à délocaliser leurs activités les plus polluantes dans d’autres pays.
En septembre 2007, la vice-présidente sud-africaine Phumzile Mlambo-Ngcuka a annoncé que son gouvernement négociait avec la Chine pour déplacer en Afrique du Sud des industries chinoises polluantes, affirmant que le pays « avait la capacité de gérer les émissions » -- tout comme en 1991 l’économiste en chef de la Banque mondiale Lawrence Summers jugeait que certains pays africains étaient « largement sous-pollués » et que la Banque mondiale devait y encourager l’exportation des industries polluantes des pays développés. »
L'avis intégral (en anglais) peut être téléchargé ici
mercredi 18 juin 2008
Avis d’expert : la Chine pollue sans frein en Afrique
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